Les tanks de Kadhafi

La nuit du samedi 12 mars au dimanche, les troupes de Kadhafi ont repris Brega. Ce qui reste de l’armée du peuple libyen a tenté une contre-offensive – sans-succès. En face, l’armée de Kadhafi dispose désormais de véhicules blindés sur chenilles. J’ai pour l’instant le sentiment que ses partisans vont rester là, sur des positions stratégiques et faciles à tenir. Hier ils ont placé leurs tanks en évidence sur la crête, face aux insurgés, plutôt que de laisser ces derniers s’avancer pour mieux les décimer. De plus, on peut penser que Kadhafi a besoin de ses troupes et de son matériel pour d’abord mater les villes de Misratah et de Zuwarah qui gênent sa profondeur stratégique. Les libyens, ici, pensent l’inverse. Qu’aujourd’hui il va prendre Ajdabiyah et qu’il sera vite sur Benghazi. Aussi, personne ne se replie sur Ajdabiyah, et tout le monde se rend directement à Benghazi, où se trouve le reste du matériel et sûrement déjà les quelques armes lourdes des insurgés. Beaucoup de kalachnikovs sont déjà retournées sous les matelas, et nombreux sont les combattants à ne plus avoir aucune forme d’arme.

Ainsi, hier, une voiture a entrepris d’aller vérifier un campement suspect. Alors qu’elle approchait, de jeunes hommes sont sortis des tentes en courant. La seule personne à avoir une arme dans la voiture a tiré, mais sa kalachnikov s’est immédiatement enrayée. Dans le campement déserté, pas d’armes et des papiers d’identité du Tchad : aucune raison qu’il ait abrité des mercenaires. S’il s’était agit de partisans de Kadhafi le défaut de matériel aurait sûrement coûté la vie aux 4 insurgés présents dans la voiture. Mais si l’arme avait fonctionné, quelques tchadiens seraient certainement morts pour rien.

Désormais, la seule chose qui semble pouvoir empêcher l’avancée de Kadhafi c’est une intervention militaire extérieure d’importance.

D., Benghazi, le 14 mars.

Mise à jour : L’armée disons militaire des insurgés a réattaqué Brega par ruse la nuit dernière, tuant 25 sodats ennemis et faisant 20 prisonniers qui ont été ramenés à Benghazi.

Mise à jour du soir : Aujourd’hui, les troupes de Kadhafi ont bombardé Ajdabiyah, mais ne semblent pas avoir tellement progressé à l’Est. A l’Ouest par contre, ils semblent avoir repris Zuwarah, et des combats auraient lieu à Misratah.

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9 commentaires pour Les tanks de Kadhafi

  1. l'autre dit :

    Souhaiter une intervention militaire extérieure, comme vous dites, suppose que vous envisagez de remplacer la peste par le choléra. Regardez de quoi sont capables les envahisseurs de la secte Otan dans tous les pays où ils se sont violemment installés. Des pillards assoiffés de viols, de tortures, de massacres, des hystériques de la gachette et du bombardement jusqu’à plus soif, des sadiques prostitués aux prédateurs de la finance. Il faut réfléchir un petit peu avant de dire n’importe quoi.

    • Se trouver dit :

      Personne ici n’a appelé de ses voeux une intervention de l’Otan en Libye.
      Relisez la phrase : « Désormais, la seule chose qui semble pouvoir empêcher l’avancée de Kadhafi c’est une intervention militaire extérieure d’importance. »
      Non seulement il n’y est pas question de l’Otan.
      Mais surtout, c’est une constation : les insurgés perdent du terrain, et sans soutien (quel qu’il soit) ils continueront de perdre du terrain.
      On peut imaginer un second temps de la guerre où les insurgés reprennent du poil de la bête (si la guerre tourne à la guérilla par exemple ; notamment du fait qu’elle va atteindre de grosses villes), mais pour l’instant ils reculent et vont continuer de reculer.

    • DeLibye dit :

      Si tu veux venir gagner la guerre pour la lybie, il doit encore y avoir moyen
      ici de trouver une kalachnikov…

      • Blaise K dit :

        C’est bien ce que certains cherchent à faire, mais impossible de contacter le Comité National de Transition sur place, ni les Libyens.

      • Blaise K dit :

        (quand je dis « certains », je parles d’individus)

    • Quelqu'un dit :

      Au delà de cette condamnation d’une intervention OTAN (que je partage), une vraie question se pose :
      On est face à une sorte de guerre civile, en cas de victoire kadhafiste ça va devenir un vrai massacre, et en occident on ne sait absolument pas quoi faire.
      Je m’explique : je suis militant politique, investi dans le mouvement social, etc. et je souhaiterais faire tout mon possible pour aider les insurgé-e-s à virer Kadhafi, et si possible à aller encore plus loin. Une fois ceci dit, je participe sur ma ville à quelques rassemblements ou réunions de soutien et je distribue quelques tracts en solidarité. Bref, mon intervention se limite à faire du « témoignage » en solidarité, et je pense qu’on peut être beaucoup plus utiles.
      Sans parler de faire des brigades internationales comme en 1936 (la faiblesse du mouvement social ne le permettrait pas), n’y a t-il pas un moyen de venir en aide réellement à la lutte du peuple libyen ? De ne pas laisser ceux qui se révoltent se faire massacrer par un fou sans réagir ?
      Les seuls modes d’action que je vois actuellement sont les rassemblements de soutien et, si la question se pose, l’aide à l’accueil de ceux et celles qui fuiront la répression. Mais si c’est sympathique cela ne va pas faire avancer d’un millimètre la lutte contre le dictateur.

  2. Se trouver dit :

    Les personnes présentes sur place nous demandent de poster ce commentaire :
    « Les questions que vous posez sont plus ou moins en décalage avec la situation.
    Elles nous ont fait prendre conscience de la difficulté que l’on peut rencontrer en
    France de se faire une idée exacte de la situation. Ici même on commence à peine à comprendre qui croit en quoi. Nous allons donc de ce pas vous écrire un article qui, s’il ne répond pas frontalement à ces interrogations vous permettra, nous l’esperons, de voir tout le tableau libyen sous un autre angle. »
    Benghazi, 15 mars.

  3. anonyme dit :

    A la lecture de votre blog, une série de questions nous est venue à l’esprit. Nous ne savons pas si vous aurez le temps d’y répondre tout de suite. Vu de loin, il y a tellement de choses que l’on a du mal à comprendre et meme en essayant de décrypter toutes les absurdités que l’on peut entendre dans les médias on se fait une image assez floue de ce qui se passe.

    *Questions générales:

    1. La question des grèves, de l’arret de la production. On a peu parlé dans les médias de cet aspect des choses. Tout semble centré sur l’occupation de l’espace public, sur le fait de reprendre la rue à la police. Dans un tract du 23 février, des révolutionnaires grecs appelaient à faire de la place Syntagma une nouvelle place Tahrir. Les stratégies de grèves générales, de blocages n’apportant pas de résultats immédiats, certains appellent de leurs voeux une contestation beaucoup plus « politique » et symbolique. Mais les révoltes d’Afrique du Nord se limitent-elles à cela ? Que se passe-t-il dans les usines, dans les transports, sur les chantiers, dans les ports ? Les syndicats participent-ils, sont-ils dépassés ? Quel est le role de la classe ouvrière ? (dans les médias il n’est question que de cette vague catégorie de « peuple »)

    2. Ce qui est le plus intrigant pour qui voit ces révoltes de loin c’est la question de leur « contenu » politique. Les médias occidentaux parlent de « révolutions démocratiques », de luttes contre les « dictateurs ». On parle beaucoup du role de la police (après tout c’est comme ça que tout a commencé en Tunisie). Il est aussi question de l’augmentation des prix des denrées de base (liée à la spéculation). Mais ce que l’on a du mal à voir, c’est ce qu’affirment ceux qui sont restés pendant des semaines à la Casbah de Tunis, ou place Tahrir au Caire, ceux qui ont fait la révolution. En Iran en 1978-1979, en Irak en 1991 ou en Kabylie en 2001, on voit émerger, s’inventer des pratiques mais aussi des formulations politiques nouvelles, on voit apparaitre des tendances qui s’affrontent, etc. Qu’en est-il dans les pays où vous vous touvez ? On se doute qu’il doit y avoir un fossé entre ceux qui formulent des revendications (démocratie, élections libres, augmentation des salaires… : partis, associations, « conseils de transition ») et ceux qui se battent et occupent les places. Le filtre des médias ne nous fait voir qu’un des deux aspects. Mais de quoi parlent vraiment les gens sur les places, dans les discussions ? Quel est leur langage ?

    3. Encore une référence à l’Iran et à la Kabylie. Dans les deux cas on a vu apparaitre (ou réapparaitre) des formes politiques d’auto-organisations locale (shura en Iran, aarch en Kabylie). Peut-on observer de tels phénomènes dans les révoltes actuelles ? Sont-elles avant tout urbaines ? Comment cela se passe-t-il dans les campagnes ?

    4. Y-a-t’il eu des phénomènes d’occupations, de réappropriations (des maisons, des terres, des moyens de production) comme au Portugal en 1974-1976 ? La propriété est-elle remise en cause sous quelque forme que ce soit ?

    5. Comment s’est propagée la révolte ? Comment la vague se transmet-elle d’un pays à l’autre ? Comment les informations circulent malgré les coupures des moyens de communication ? Est-ce que les téléphones portables marchent ?

    6. Le role de l’armée. On a beaucoup entendu en Egypte le slogan « l’armée, le peuple, une seule main ». Mais il semble que l’armée soit passée désormais d’une position de passivité bienveillante (on laisse faire, on lache Moubarak) à un role beaucoup plus actif (on rétablit l’ordre jusqu’aux élections). Quels sont désormais les rapports avec l’armée en Egypte ? Celle-ci est elle unie ou traversée de contradictions ? Est-elle composée d’appelés ?

    7. Le role des femmes. Le cliché qui circule en Europe est le suivant : les femmes sont traditionnellement marginalisées dans les pays d’Afrique du Nord et il en va de meme au moment de la révolte. On ne montre dans les médias que des mères qui pleurent les martyrs et des femmes qui font des youyous. Quel est leur role réel, leur visibilité ?

    8. Le role de la religion. Sans parler du role des « islamistes » (Frères musulmans, Ennahda…) quelle est la place de la religion dans les révoltes ? Les gens utilisent-ils un langage religieux ?

    9. Est-ce qu’on comprend mieux le role des occidentaux, de la CIA sur place ? Pourquoi les USA ont laissé faire et meme soutenu la révolte egyptienne alors meme que Moubarak était l’un de leurs principaux alliés dans la région, garant d’une certaine stabilité, notamment par rapport à Israel ? Pourquoi Sarkozy qui recevait Kadhafi en grande pompe il y a un an parle-t-il désormais de le bombarder ? Que signifie le fait que ces révoltes soient si bien vues en « Occident » ?

    d10. Existe-t-il sous une forme ou sous une autre une part de la révolte qui s’attaque à ce qui est commun aux « démocraties » et aux « dicatures » : l’argent, l’économie, la circulation des images. Peut-on voir les bribes de ce qui est advenu en Iran en 1978-1979 avant la contre-révolution islamique : une remise en cause de la « civilisation occidentale » (cinémas brulés, télévisions empalées, raffineries sabotées, etc.) ?

    *Pour ceux qui sont en Lybie :

    1. Un cliché qui circule beaucoup sur la Lybie : la Lybie est un pays très peu peuplé (seulement 6 millions d’habitants contre 85 millions en Egypte), très riche grace à ses ressources en pétrole (PIB le plus élevé du continent, PNB/hab de 12000$) et la « classe ouvrière » dans sa très grande majorité n’est pas lybienne mais est composée d’immigrés (Pakistan, Bengladesh, pays d’Afrique…). La question est donc la suivante : qui est ce « peuple » lybien dont parlent sans cesse les médias occidentaux ? Qui sont ces fameux chababs ?

    2. Que font les immigrés ? Fuient-ils, participent-ils à la révolte ? Qu’est-il advenu des centres de rétention, construits avec les fonds de l’Union européenne ?

    3. Comment fonctionne le « front » ? Ce qu’on voit ici à la télévision, ce sont des pick-ups avec des mitrailleuses qui visent les avions, se font bombarder et fuient. Y-a–il des points de fixations ? Des tranchées ? Des combats urbains ? Kadhafi « modère »-t-il son action comme le disent certains commentateurs (non-utilisation des armes chimiques, etc.) pour ne pas trop échauder la « communauté internationale » et rendre possible un après ?

    4. Ce qu’on comprend à la lecture de vos articles, c’est que d’un coté il y a une armée de métier bien équipée, avec des avions et de l’artillerie lourde et de l’autre cotés des gens de bonne volonté mais sous-équipés et surtout sans formation militaire. Seule une intervention extérieure (bombardements, imposition d’une no fly zone) pourrait d’après vous inverser la tendance. Si cette intervention n’a pas lieu (ce qui est très probable étant donné les réticences de la Russie, de la Chine mais aussi d’une bonne partie des états européens) quel est le scénario le plus probable ? (fin de la rébellion, transformation en guérilla, bains de sang, politique de conciliation ?)

  4. Depuis Benhazi dit :

    Les shebab sont de jeunes garçons de bonne, voire de très bonne, famille, des
    étudiants, des docteurs de 40 ans, des ingénieurs, des serveurs de fast-food,
    d’anciens prisonniers (pour beaucoup), des chauffeurs de taxi, des étrangers
    pauvres, des étrangers riches (étudiants), des tchadiens installés depuis
    quelques temps en Libye.

    Si on est noir et parlant un arabe approximatif ou avec un fort accent, de plus
    faisant partie d’un groupe de travailleurs hommes, mieux vaut ne pas trainer en Libye et des bus entiers se cassent. Les Egyptiens se barrent aussi comme beaucoup de Libyens, sauf qu’eux ont un endroit où atterir. Beaucoup d’Egyptiens se battent encore ou sont encore présents en lybie toutefois. Le système scolaire reste paralysé du fait du départ des profs (collèges, lycées, universités), en majorité étrangers, égyptiens, iraquiens… Beaucoup de médecins et d’infirmiers rappelés par leurs pays sont restés. A Benghazi, des infirmiers originaires d’Asie du sud-est se sont tout de même barrés en grand nombre.

    Les camps de refugiés, personne ne semble au courant, je ne connais moi même pas trop le sujet et je ne sais pas où ils sont. Les Libyens disent surtout que Kadhafi donne plein d’argent aux étrangers africains et parlent des camps d’entrainement de mercenaires. Cette question des expulsés est en effet préocuppante, mais je ne vois pas qui pourrait ici être au courant.

    La vision de la télévision est assez juste, il y a des points de fixation sur les crêtes
    et aux portes des villes, mais quand ça pilonne, tout le monde se barre. La seule tranchée que j’ai vue c’était une fosse de mécanique pour bagnoles. Des levées de terre sont faites dans la hâte au buldozer, mais ce n’est pas très efficace. Des combats urbains, il y en a eu à Ajdebiyah et Ras Lanouf (mais je n’y étais pas) et à Brega lors de l’offensive.

    Si Kadhafi modère son action ? Un peu mon neveu, sinon on serait déjà tous morts. Les avions ont toujours visé à côté des cibles. L’artillerie est réglée n’importe comment.

    Ici, à Benghazi, de nombreuses personnes ou entreprises se sont beaucoup trop
    mouillées dans la révolution, du coup, si Kadhafi prend la ville ce sera un exode
    massif ou un bain de sang et une guérilla ; peut-être un peu des deux. Et
    après les occidentaux pourront s’offusquer de la cruauté du tyran, et éclater le vainqueur bien affaibli pour amener la paix et la démocratie.

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