« Celui qui demande la mort gagne la vie », entretien avec Essaid.

En mai je rencontre dans la rue Hotman, un jeune du djebel Nefussa, chaîne de montagnes à l’extrême ouest de la Lybie et limitrophe de la Tunisie. A l’époque on parle très peu de la guerre qui, là-bas aussi, fait rage depuis la moitié du mois de février, malgré la proximité du djebel avec Tripoli. Comme de nombreux Libyens, lui et sa famille ont trouvé refuge à Zarzis dans le sud-est de la Tunisie. Très vite il me fait rencontrer sont père, qui occupe la maison des jeunes de Zarzis avec toute sa famille. Essaid m’explique un peu le contexte de leur présence ici depuis mars, date à laquelle les Kadhafistes ont tenté une incursion dans Zintan, ville à l’est du djebel.. Il ne s’agissait pas de fuir les combats mais de mettre en sécurité les personnes qui ne pouvaient pas prendre les armes. Ses deux fils ainés sont restés à Zintan, pour combattre.

L’entretien qui suit est l’une des discussions que j’ai eu avec Essaid à l’époque. Il a été réalisé en juin 2011

Je m’appelle Essaid Amer, je suis de Zintan, de l’ouest du Djebel Nefussa. Nefussa c’est en Libye berbère. Je suis arabe, mais je suis un voisin des berbères. Les arabes et les berbères étaient uni, c’est Kadhafi qui nous a uni. Kadhafi parle des tribus, il a essayé de disperser le peuple libyen mais au contraire, cette guerre et ce qu’a fait Kadhafi, n’a fait qu’unifier la société dans cette région, que ce soit des arabes ou des berbères c’est la même chose. Zintan et la région du Djebel Al Arabi (1), même à l’époque de la colonisation Italienne, c’était une région très très difficile. C’est une région montagneuse et révoltée. Quelques historiens libyens ont vu ça dans les archives des italiens et de Graziani. Graziani était un chef de l’armée italienne qui est venu en Lybie pour liquider la révolte de Omar Mokhtar. Le livre s’intitulait « Vers Fazed », Fazed c’est une ville tout près de Zintan et il a dit exactement dans son livre que la dernière cartouche tirée contre la révolution libyenne à l’époque, c’était à Zintan. Ce sont les derniers qui ont continué la résistance jusqu’à la fin. Donc historiquement, même la région était une région de révolte. Il n’y a pas de pétrole dans la montagne de l’ouest, dans le djebel Nefussa, mais stratégiquement c’est une région qui sépare l’ouest du pays du sud et c’est au sud qu’il y a le pétrole, donc si Kadhafi met la main sur Djebel Al Arabi, Djebel Nefussa, il va liquider la résistance et donc la révolution. C’est vrai qu’il n’y a pas de pétrole mais c’est une région très stratégique.

 Quand s’est soulevée Zintan?

En ce qui concerne Zintan, ça remonte à longtemps. Dès l’arrivée du régime de Kadhafi en 69, il y avait un groupe qui était prisonnier, il y en a d’ailleurs deux ou trois qui sont très célèbres et qui sont mes voisins, l’un de la famille el Hadl et l’autre de la famille Chredi. Ce sont des opposants à Kadhafi qui ont été arrêté en 69. Donc le problème de Kadhafi avec les gens de Zintan et les zintaniens avec Kadhafi ça remonte au début du régime. Il y a une dizaine d’années, c’était la prière du vendredi, le vendredi saint. À la fin de la prière, un certain Abdelatif, un zintanien, a pris le micro de la prière et il a fait un discours contre Kadhafi, il a été tué le jour même. Les gens de Kadhafi ont dit que c’était un fou. Zintan est une région très marginalisée, il n’y pas d’hôpitaux, par exemple quand une femme va accoucher ils sont obligés de l’amener à Khilienne qui est à 90km. Kadhafi est venu pas mal de fois à Zintan, il a dit qu’il allait y faire beaucoup de choses, il a fait l’éloge des zintaniens, qui sont des chevaliers etc…mais après, il part et ne fait rien. Il y a toujours eu des gens de Zintan qui ont été arrêtés. Il y a un an, il y en a un autre de la même famille, la famille Chredi, c’est une famille de révoltés depuis le début. Kadhafi a confisqué toutes les armes, il y avait un jeune qui a fait une arme artisanale. Il l’a mise dans son sac, il est allé à Bab AlAzizia la forteresse de Kadhafi. Il a dit au garde qui était aux portes « Chredi », il se nommait lui même, mais il rappelait aussi le nom de la famille révoltée. Il a dit aux gardes, dites à Kadhafi « Chredi te dit si tu es un homme sors et parle avec moi », ils l’ont arrosé de balles. Presque cent balles. Ce gars s’appellait Abdallah Messaoud Chredi. Il avait 22 ans. Le déclanchement de la résistance était « spontanée », lorsque que les habitants ont reçu les premières attaques, une semaine après le déclenchement, le 16 février, il n’y a pas de coordination, il n’y a pas de programmation. Lorsque les attaques ont commencé, toute la ville et tous les gens qui pouvaient prendre des armes sont entrés en résistance. Les gens n’avaient pas d’armes, c’est très rare que quelqu’un ait une arme cachée ou quelque chose comme ça. Il y a une fraction militaire, une troupe qui est venue pour liquider la révolution à Zintan. Les milices ont dit qu’ils allaient violer les femmes, arrêter les hommes. Lorsqu’ils sont venus assiéger la ville, ils en ont envoyé quelques uns pour faire ces intoxs. Ils ont dit : « baissez le drapeaux des insurgés et faites monter le drapeaux vert et on va vous laisser en paix. » Tous les jeunes sont sortis pour résister, même les vieux ont essayé de retenir les jeunes, mais les jeunes ont dit non, qu’il nous tuent mais c’est pour la dignité. Les milices de Kadhafi n’ont pas pris en compte le courage des jeunes de Zintan. Ils ont affronté les milices avec parfois des vieux fusils de l’époque italienne, restés cachés depuis la colonisation , et des cocktails molotov. Les milices de Kadhafi étaient tranquilles comme ça et les jeunes sont venus avec des cocktails Molotov, avec des barres de fer, des pierres, ils ont presque détruit 70% des milices et ils ont aussi récupéré les armes. Ainsi lorsque les gens ont eu des armes, Zintan a commencé à organiser la résistance. Ils s’organisaient par groupes de dix et ils se plaçaient pour observer, contrôler, localiser là ou il y a l’armée de Kadhafi. Donc par groupes de dix, la nuit ils font des attaques et ils gagnent toujours des armes. Maintenant, ils ont même des armes qui peuvent affronter un autre pays. Le problème c’est les munitions. Dernièrement, ils ont envoyés des munitions de Benghazi, mais avant non. Les prisonniers qui ont été pris par les insurgés ont dit qu’ils avaient l’ordre d’anéantir Zintan, de tuer, de violer, de tout détruire. Les troupeaux d’animaux, de brebis, de chameaux ont été tué, les puits ont été détruits, toutes les sources d’eau ont été détruites, ils voulaient que Zintan se rende mais ils n’ont pas réussi. Grâce à dieu ça n’a fait que renforcer la résistance à Kadhafi. Ceux qui ont fait ça ce sont essentiellement les jeunes de 25 ans et moins. Pour nous, les plus vieux, c’est un mystère (avec un grand sourire). Si Kadhafi part, on a pas imaginé ça.

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Les jeunes, donc ont appris à se battre en deux mois, avec les armes ?

C’est comme par nature, ils ont appris en combattant, ils confisquent des batteries de missiles, ils essaient de décortiquer comme ça, voir comment ça marche, puis voilà. Hier les insurgés ont bombardé Zaouit El Bagoud, tout près de Zintan 100 missiles grad. Chaque jour, des victoires mais nous avons beaucoup de victimes. Hier il y en avait 9 et 52 blessés. Beaucoup sont ici en Tunisie. Hier ils ont pris Rahiana et là ils ont pris beaucoup d’armes laissées par les milices de Kadhafi.Et avec ces armes là ils ont pu libérer l’autre ville de Zalouit El Bagoud. Entre hier et avant hier donc ils ont libéré deux villes.

 A Rahiana, il y avait un chef des milices de Kadhafi, qui a apporté des armes, qui a distribué des armes au habitants de Rahiana. Là-bas il y a une grande présence des hommes de Kadhafi et de « lenjen toria » , le comité révolutionnaire de Kadhafi. Il a donné des armes pour tout le monde. Les habitants de Zintan ont parlé avec les chef de Rahiana. Ils ont dit que nous sommes des frères, il ne faut pas prendre les armes l’un contre l’autre, il faut laisser Kadhafi…Mais il y en a beaucoup qui ont pris les armes et hier et avant hier, lorsque les Kadhafistes ont perdu, il y en a beaucoup qui ont quitté la ville.

 Qu’est-ce qui fait qu’ils soutiennent Kadhafi ?

 C’est parce qu’il y a beaucoup de gens des « lenjen toria » là-bas. Ce sont des tribus qui sont faibles et ils croyaient que s’ils restaient avec Kadhafi ça les protégerait. Ils croyaient que si Kadhafi prenait Zintan, ils pourraient régner sur toute la région. Pourtant il y a plein de gens qui sont contre Kadhafi.

Quand est-ce que tu es parti de Zintan ?

Le deuxième ou le troisième jour des bombardements, mon fils a été blessé, au bassin. J’habite sur la crête de la montagne donc ma maison est très exposée, avec des jumelles tu peux voir ma maison nettement.

 

Vue depuis la maison d’Essaid. La plaine en arrière plan est celle où étaient stationnées les forces kadafistes pendant la bataille du djebel.

Kadhafi a augmenté les frappes contre Zintan, il a envoyé des factions de partout. Au bout d’un mois les habitants ont dit qu’il fallait mieux faire sortir les familles et laisser que les jeunes. Il y a seulement quelques familles qui ont refusé de sortir. La population de Zintan c’était 40 000. Les jeunes insurgés ça représente en gros 3000. Comme tout le monde le matin tu te lèves tu prends ton petit déjeuner et tu sors pour aller combattre. Il y a des chefs de katayeb qui s’enfuient et qui arrivent en Tunisie. Il y a beaucoup de militaires qui font la guerre avec Kadhafi en étant forcés. Par exemple un membre des katayeb qui avait l’ordre d’attaquer le djebel Nefussa. Il a bombardé le Djebel durant une semaine sans toucher une maison, ils bombardent comme ça dans la montagne. C’est le général dont je parlais l’autre fois, qui avait l’ordre de frapper Zintan. Il a téléphoné à un ami pour dire qu’il n’allait pas frapper, qu’il allait frapper à côté. Il a donc parlé à quelqu’un qu’il connaît à Zintan et lui a dit : « n’ayez pas peur je ne vais pas bombarder. » Ça c’était 10 jours après l’arrivée de l’armée de Kadhafi. Il a bombardé que la montagne, il n’a pas ciblé les maisons, ni la ville. En fait Kadhafi a mis tous les téléphones sous surveillance et qu’est-ce qu’il a fait, il a donné à tout le monde du crédit, dans le portable. Moi j’ai eu 100 dinars et surtout les jeunes au début n’ont pas fait attention, ils parlent comme ça et divulguent tous les secrets. Donc c’est un piège de Kadhafi pour connaître les mouvements des insurgés. C’est comme le proverbe « celui qui demande la mort gagne la vie ». Les jeunes ont suivi ce principe… Kadhafi a eu des informations sur ce général, parce que les jeunes parlaient entre eux, pourquoi il a attaqué durant un mois, sans attaquer la ville. Après un mois les gens de Zintan on vu que les choses ont changé, les missiles qui tombaient dans la montagne maintenant attaquent directement les villes et il s’est avéré après que Kadhafi a changé ce général. Je ne sais pas son nom mais il est de Targouna, Targouna c’est entre Tripoli et Misrata. Lui, il a peut être été liquidé par les milices de Kadhafi, parce que les jeunes lorsqu’ils attaquent des milices de Kadhafi, parfois ils trouvent des soldats attaché et morts.

Un jour lorsque les bombardements ont commencé j’ai dit à mon fils d’aller chercher les animaux. Les soldats de Kadhafi les ont vu bouger et c’est là qu’ils ont tiré sur eux. Enfin ils n’ont pas tiré directement sur eux mais ils se sont pris un éclat de missile grad. Depuis ce moment là il a toujours l’éclat dans le corps. Nous avons attendu un mois après la blessure de mon fils, parce que nous avons pensé que ça allait finir rapidement, parce que nous avons réalisé beaucoup de victoires, récupéré beaucoup d’armes. Surtout avec la révolte des autres villes : Zaouia, Zouara, Yefren, Qalah. Mais après les choses ont changé, Kadhafi a pu mettre la main sur Qalah, Zaouia… il a liquidé la résistance dans ces villes là. Et là il ne restait que Zintan donc, après un mois nous avons décidé de partir de Zintan.

Qu’est qui a fait que tu as eu le sentiment que ça allait rentrer dans une guerre longue ?

Parce que ce n’est pas la même chose, Zintan ce n’est pas Zaouia, ni Zouara, ce sont des villes du Sahel, ce sont des villes des côtes, donc c’est plus facile de les attaquer. Et aussi Kadhafi a commis des massacres dans ces villes là, on a trouvé des charniers. Par la force des armes il a tué tout le monde, chaque personne qui sort de chez elle, est immédiatement tuée. C’est comme ça que Kadhafi a pu liquider la résistance là-bas. En fait il y a eu la bataille de Sorman. Sorman c’est sur la côte à 100 km de Zintan. C’est Kadhafi qui l’a ordonnée, depuis Tripoli, et lorsque Kadhafi est sorti de Sorman, il y a des insurgés de Sorman qui ont appelé les Zintaniens. Ils ont dit que Kadhafi avait envoyé beaucoup de factions et de milices, donc ils ont tendu un piège. Les Zintaniens sont descendus de la montagne et dès l’arrivée de la milice pendant qu’ils étaient entrain de s’installer, les Zintaniens les ont pris. Ils en ont capturé presque une trentaine. Cette milice a été complètement anéantie. C’est parmis ces soldats qu’ils ont trouvé quatre miliciens, c’est-à-dire, un colonel, un lieutenant et deux soldats attachés et tués. Á la tombée de la nuit, il y a beaucoup de soldats qui ont fuit et ceux qui ont été capturé, c’est eux qui ont raconté ça.

Pour revenir un peu sur les écoutes, parce que ce n’est pas le tout d’avoir des écoutes de plein de monde, il faut des gens pour les traiter. Il a un gros service de renseignement par rapport aux écoutes ?

Mohamad, le fils ainé de Kadhafi c’est lui qui s’occupe de ça. C’est lui qui s’occupe de la communication, c’est lui qui a la communication de la Libye, c’est à dire la société de communication des portables. C’est lui qui détient tout ça. Donc c’est la famille. Et puis Kadhafi, lui-même a dit qu’ils ont mis tous les téléphones sur écoute, pour terrifier les gens, pour faire peur aux insurgés pour qu’ils ne communiquent pas ensemble. Mais les jeunes insurgés n’ont pas eu peur, ils ont même envoyé des messages. Lorsqu’il parle avec son collègue il sait très bien que son téléphone est sous surveillance. Il passe des messages aux Kadhafistes, que Kadhafi ne va pas rester, qu’on va gagner, à bat Kadhafi.

Après au bout d’un mois quand vous avez vu que cela s’installait dans quelque quelque chose de plus long vous êtes partis ?

Donc après la chute des autres villes Qalah, Zaouia… ils ont assiégé Zintan, qui a été attaquée de partout, des quatre côtés, aussi avec des missiles n106, qui peuvent détruire une maison. Il a aussi mis la main sur tout les puits d’eau et bloqué les animaux qui ne pouvaient plus sortir. Alors ils ont décidé de libérer les animaux dans la nature. Les enfants étaient terrifiés, effrayés, ils s’abritent un peu partout. La situation est devenue très difficile. C’est à ce moment là, à peu près un mois après le début. Il y avait des attaques tout près de la maison, c’était un état d’apocalypse. Une petite ville comme Zintan, imagine avec le ciel noir. Et c’est à ce moment que mon fils est devenu diabétique. Il n‘y a plus à Zintan ni eau, ni nourriture ni surtout de carburant. Kadhafi a donné l’ordre de ne pas ravitailler Zintan. Lorsqu‘il y a un camion de ravitaillement il lui coupe la route. Donc les Zintaniens on fait la même chose, ils sont descendus et lorsqu’ils ont trouvé un camion de pétrole qui va vers Tripoli ou autre ils le braquent et le détournent vers Zintan. Et en arrivant ils lui donnent l’argent et il repart. Lorsqu’ils ont eu ces informations que les Zintaniens empêchaient l’arrivée du pétrole, ils ont empêcher le pétrole de passer pour toutes les villes autour de Zintan, toutes les villes de l’ouest. Maintenant il n’y a que quelques villes qui sont très proches de Tripoli qui sont ravitaillées et ils envoient ça avec des militaires. La seule source c’était Dehiba, en Tunisie. Les forces tunisiennes ont aidé les Zintaniens, avec ceux qui trafiquent de l’essence pour ramener du pétrole jusqu’à Zintan et Nalut. Le prix à flambé, un baril de vingt litres vaut 190 dinars. Dès qu’il y a des camions qui arrivent de Dehiba tout le monde se jette dessus pour avoir un bidon de vingt litres, pour fuir, pour arriver jusqu‘en Tunisie. Et un jour j’ai réussi à avoir vingt litres. Moi j’ai une voiture diesel, il y avait beaucoup de vent, j’étais heureux d’avoir un bidon et je n’ai pas vérifié. J’ai versé le carburant, j’ai mis tout le monde dans la voiture et on est parti. Á 20 km la voiture est tombée en panne. On a vu un mécanicien et on a découvert qu’on a mis de l’essence à la place du diesel. Donc on a laissé la voiture là-bas. On a vu un camion, bien sûr lui aussi rempli de monde, de familles qui partent vers la Tunisie et ils nous ont pris avec eux. Nous c’est à dire les femmes, les petits enfants et aussi un oncle qui est vieux. Bien sûr mes deux grand fils sont restés.

A ce moment là le point de passage de Dehiba était attaqué par les insurgés. Il était récupéré par les insurgés pour assurer le ravitaillement. Et ce sont des gens de Zintan avec des gens de Nalut qui ont fait ça. Ils ont capturé 25 soldats des milices de Kadhafi. Mais Kadhafi a continué de bombarder le point de passage de Dehiba pour le récupérer. Donc cette nuit là, nuit de mon arrivée en Tunisie il y avait des bombardements à ce point de passage. On ne pouvait pas prendre la route normale on a pris la route du désert. Et là sur cette route on a trouvé la police et l’armée Tunisienne. Ils regroupaient les gens, entre 70 et 80 voitures. Et ils les amènent jusqu’au camps de réfugiés de Dehiba. En arrivant à Dehiba j’ai même eu peur, parce que j’ai trouvé des gens qui venaient de toutes part et j’ai cru que c’était les soldats de Kadhafi qui sont venus, mais après j’ai trouvé un tunisien qui m’a donné de l’eau. On est resté la nuit là, mais il n’y avait pas de place, il y avait beaucoup de monde, on a laissé les femmes et les enfants prendre quelques heures de sommeil et le matin il y a ceux qui sont passés dans le camp de Ramada et ceux qui ont décidé d’aller jusqu’à Tataouine et moi et les zintaniens qui sont venus avec moi, nous sommes 86 de la même famille.

Tu disais qu’entre les arabes et les berbères ça se passait bien, qu’est-ce que Kadhafi faisait pour les diviser ?

 Il a toujours fait ça. Lorsqu’il vient à Zintan, Zintan est une ville de tribus arabes, il dit : « méfiez-vous des berbères s’ils viennent au pouvoir, ils ne vont rien vous laisser » et lorsqu’il passe au Djebel Nefussa chez les berbères il dit la même chose. Et c’est cette politique qui a donné l’occasion à Kadhafi de gouverner toute cette période. Il y a beaucoup de tribus qui ont formé Zintan, des tribus arabes. Tu peux chercher même dans les livres des historiens qui ont écrit sur la résistance libyenne à l’occupation italienne, tu peux trouver beaucoup de chose sur les tribus de Zintan, c’est pareil pour eux la vie et la mort. Kadhafi a eu tort lorsqu’il a marginalisé Zintan et aussi cette politique de séparation des tribus, les arabes faites attention aux berbères et vice versa. Maintenant tout le monde est convaincu que ce n’est pas vrai les arabes et les berbères c’est comme des frères et ils se sont unifiés contre Kadhafi.

Lorsque la guerre a commencé, dans le premier mois, Kadhafi est allé rencontrer des vieux zintaniens et il a dit que ceux qui ont fait la révolution à Zintan se sont des jeunes, qui ne connaissent pas grand choses, qui sont frivoles. Les vieux zintaniens n’ont pas affronté Kadhafi et donc il a dit que les zintaniens sont avec lui. Il a envoyé un général, un zintanien qui était avec lui, qui a fait avec lui la guerre contre Senoussi, le roi. Il était avec Kadhafi dès le début. Il a fait un grand meeting populaire avec les vieux zintaniens, et il a dit qu’il fallait se calmer, qu’on allait tout nous donner. Il a proposé aussi 165.000 dinars pour chaque famille, pour chaque carnet de famille. Et en plus je ne sais pas si tu as une idée sur l’organisation administrative de la Libye, il y a des communautés populaires, chaabi, et dans cette région là il n’y a qu’une seule communauté populaire, de Zintan jusqu’à Nalut. Toutes ces villes constituent 1 seule chaabi. Il a proposé aux zintaniens de faire de Zintan une communauté. Les zintaniens ont répondu au colonnel «  c’est très bien ce que tu viens de nous proposer  mais nous aussi nous avons des demandes, des revendications. Est-ce que vous pouvez dire ça à Kadhafi ? », il a dit oui. « Tu es sûr que tu peux ?… nous voulons la tête de Kadhafi, est-ce que tu peux lui dire ça ?»

(1) Les montagnes de l’ouest ont été nommée « Djebel Nefussa » par les géographes italiens de la colonisation au début du XXème siècle. En réalité ce nom correspond à un royaume berbère qui s’étendait du sud Tunisien aux portes du royaume de Zinten. Si la plupart des berbères appellent ces montagnes le Djebel Nefussa, des arabes de la région auront tendance à désigner l’extrême est de cette chaîne (là où se trouve Zintan) en tant que Djebel Al Arabi.

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