Benghazi s’éveille, notre peuple est mort.

Benghazi nadad, metou fia shuadad.

Benghazi s’éveille, notre peuple est mort.

 

maison incendiée à Benjawad

Cette guerre ressemble à une pièce de théatre qui inlassablement et quotidiennement, se rejouerait. Seul le décor change, de Brega à Benjawad, de Benjawad à Brega, invariablement; quoi que chaque fois un peu plus abîmé. 

L’Etat provisoire ne s’adresse désormais plus qu’aux troupeaux de journalistes qui, ne sachant pas trop quoi faire de leurs journées, s’occupent à s’agglutiner, de conférences de presse en conférence de presse. Tout paraît normal. On voudrait que tout soit comme avant, pourtant tout est différent.

Le coeur de Benghazi compte toujours autant de ces officines du nouvel Etat. Organisations de jeunesse ou de travailleurs, toujours plus boulimiques de symboles, de drapeaux, de bureau-avec-des-noms-sur-la-porte. Mais les gardes armés, si chiants et si fiers hier encore, se font maintenant rares, las de traîner leurs sabres devant des occidentaux blasés.

Le véritable Etat de la nouvelle Libye n’est pas et n’a jamais été le Comité National de Transition. Il semble d’ailleurs que sa seule activité extra-médiatique aura été de récupérer de l’argent du pétrole afin de remplir on ne sait quelle caisse. Il n’est très certainement que le prétexte d’un appareil de presse qui construit pêle-mêle le pathétique, les images, le discours et le rythme de ce spectacle qu’est l’éthique révolutionnaire en Libye.

S’il y avait quelque chose comme un « Etat », il se situerait bien plus dans les bureaux d’Al Jazeera. Si l’on veut des nouvelles de la guerre ou si l’on veut savoir ce que c’est que cette manif’, il faut allumer la télé.

Non, ici personne n’obéit à personne. Certes les flics réapparaissent mais la moitié sont des gamins ou des types qui ont récupéré des uniformes. Ils ne sont pas organisés ensemble et encore moins sous la tutelle du CNT.

L’armée organisée c’est la plus répondue des rumeurs. (Egalée peut-être par celle du soulèvement de Syrte, aussi mythique que récurrente.)

Le front est d’ailleurs redevenu un club très sélect‘. Dans cette bataille qui s’éternise de Brega à Benjawad, il n’y a rien à faire d’intéressant pour qui n’est pas dans une équipe d’artillerie, ou ne veut pas mourir en martyr. La guerre se spécialise mais parler de « specialistes » du côté des insurgés, c’est beaucoup dire. Les militaires professionnels, organisés et furtifs qu’un brouillard de généraux et de colonels pretend commander et que de nombreux journalistes prétendent avoir vus est une farce de moins en moins drôle. Il y a bien des militaires formés et bien equipés en avant des lignes des shebabs, mais ce sont les soldats de Kadhafi, et c’est sur nous qu’ils tirent.  A vrai dire, ce fantôme évadé d’un mauvais clip pour le recrutement des marines sert surtout à tenter de bloquer les journalistes au dernier check-point, ce qui n’a que très peu d’effet. Il suffit d’un rien pour le passer et tous le font.

Quand dans un précédent article nous décrivions la constitution d’un « avant » et d’un « arrière« , il faut comprendre cela au niveau de la forme de vie. Ce sont tous des civils, ce qui différencie ceux qui vont sur le front c’est un certain intérêt pour les combats et par conséquent un rapport assez démystifié à l’affrontement brute. Il y a bien évidemment quelques personnes qui après être allées au front une fois retournent en ville pour s’auréoler de leurs faits d’armes assez maigres, mais c’est plutôt rare.

La question tribale se pose ou ne se posera que dans les villes de Sabba et de Syrte. De ce que l’on nous dit, partout ailleurs, c’est comme ici: l’insurrection c’est une somme d’individus collectés et rassemblés sur le front. Ils s’organisent en groupes de trois ou quatre véhicules au plus et assurent eux-même leur logistique de l’arrière au front, bien aidés par les types qui individuellement remplissent leur pick-up de nourriture et d’eau pour les amener en premiere ligne. On part sur le front ensemble parce qu’on est potes de boulot ou de la même famille ou du même club de plongée sous-marine maisIls partent ensemble sur le front soit parcequ’ils sont de la même famille, du même boulot ou du même club de plongée sous-marine mais il n’y a vraiment rien qui ressemble à une composition « clanique » tout comme il n’y a aucune distinction formelle entre militaire et civile. Dans les rues de Benghazi, il est impossible de distinguer les « combattants » du reste de la population.

tank détruit par l'Otan

Les chefs en herbe et la curiosité des citoyens de Benghazi ont abandonnés le front aux seuls personnes qui croyaient suffisament en ce qu’ils faisaient.

Les rôles se dissolvent et les rapports entre les gens deviennent des rapports véritablement partisans. Même les photographes de guerre venus jouer dans ce bac à sable géant sont pris dedans et vivent puissament la camaraderie des shebabs. Le rapport aux occidentaux sur le front est devenu très clair. Autant, les shebabs considèrent quasiment comme des camarades ceux qui mangent avec eux, les accompagnent dans leur voiture sur le front, etc. Autant ils sont capables de la plus grande froideur à l’encontre de ceux qui semblent être de simples curieux envoyés là comme ils auraient été envoyés couvrir le salon de l’agriculture.

Comme lors de l’occupation de Ras Lanouf que nous avions décrite, la guerre est de plus en plus assumée comme l’état normal des choses. L’armée est plus petite que jamais, mais bien organisée, l’artillerie se positionne sur les crêtes, le rechargement est rapide et réalisé par tous, et de nouvelles armes font leur apparition.

Eh oui, même l’artillerie lourde se bricole: grad commandés par des interrupteurs de maison, mortiers faits de tubes récupérés, et cerise sur le gateau, paniers à roquettes d’hélicoptère Mi-24 montés sur des pick-up capables d’envoyer une trentaine de roquettes de 57mm en un rien de temps à l’aide d’une commande de tir improvisée.

La solidarité internationnale, on ne l’a pas vu sur le front. Il n’y a que les pick-up des habitants de Benghazi, de Brega, ou de Tobrouk qui ramènent les trucs qu’ils ont achetés avec leurs petits sous.

A Benghazi également la normalité a une odeur de souffre. Toutsles commerces sont ouverts, à l’exception des banques, pourtant d’une grande importance symbolique. Le marchand de cuir qui, il y a une semaine encore vendait des ceintures et réparait des chaussures de gamins, vend désormais en une après-midi, cinq ou six holster, trois ou quatre bretelles pour kalach, un gilet pare-balles et … une ceinture rose pour ado branché.

Dans un quartier chaud, les mêmes types qui deux semaines auparavant étaient prêts à te planter pour un appareil photo t’offrent désormais trois heures de boulot juste parce que tu va à la guerre pour prendre… des photos.

En retrouvant, il y a deux jours, des jeunes du front d’Ajdabia, ils m’emmènent jusqu’à un tank où, avec deux tambours, ils dansent en improvisant des chants qui se répondent, repris par certains, décriés par d’autres, s’interrompent, reprennent… Depuis, tous les soirs de tels groupes se forment avec des personnes et des danses differentes.

Aujourd’hui un bateau turque qui amenait de l’aide alimentaire a été refoulé après quinze minutes à quai. Les libyens insistent sur le fait qu’ils n’ont pas besoin de nourriture mais d’armes et de soutien militaire. Ici, les gens sont de plus en plus nombreux à  dire clairement que si elle ne bombarde pas les troupes de Kadhafi, c’est un choix que fait la coalition. Alors qu’elle a nettoyé chirurgicalement tous les véhicules loyalistes de Benghazi à Brega et au vu de la précision avec laquelle les tanks ennemis ont été décapités de leurs tourelles on peut effectivement penser qu’elle a intentionnellement décidé d’arrêter là. Certains n’ont aucun doute à ce sujet, la France doit sûrement vouloir rester fidèle à sa vieille habitude qui consiste à mettre en place une armée formée par ses soins. L’hélicoptère français qui à quitter le port de Benghazi ne peut que confirmer cette lourde impression.

Les « dérapages » de la coalition sont finalement plutôt insignifiant. S’il s’agit de buter des gens, les rebelles et les kadhafistes font cela très bien. En dernière instance, il suffit de priver les uns de soutien pendant quelques jours, -ce qui vient de se produire- pour que la guerre devienne suffisament sale et que cela fournisse une Libye bien docile.

Ce serait une erreur que de se focaliser sur les trois bombes que l’Otan a largué dans le tas (même si elles ont fait plus de morts que trois jours d’affrontements). Ce que ne manqueront certainement pas de faire des journalistes à la con l’histoire de se sentir un peu « critiques ». Ce que les gens du front craignent c’est que la stratégie de l’Otan soit de laisser pourrir la situation. Certes, les francais et les américains pourraient se permettre de négocier jusqu’à la couleur de la cravate du chef du CNT, mais c’est tellement plus facile de se servir soi-même une fois que tout le monde s’est entre-tué.

Lorsque le front était parvenu jusqu’à Harawa, dix tanks dégommés auraient permis de contourner gentiment Syrte (ici, personne n’est assez con pour aller se foutre là bas) et alors Kadhafi n’aurait plus eu qu’à aller garer ses miches au Vénézuela.

(Note de l’éditeur: Au vu des jugements géopolitiques quelque peu Olé Olé à la fin de ce texte, nous avons demandé à son auteur s’il ne versait pas trop dans l’impression de comptoir. Ce à quoi il nous a laconiquement répondu:

« Ouais les considérations internationnales sont un peu osées,

mais je vois pas d’autres explications, sauf si les avions manquent de fuel du fait de la révolution en libye ou des grèves de l’automne en France.« )

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3 commentaires pour Benghazi s’éveille, notre peuple est mort.

  1. Remugle dit :

    « Benghazi nadad, metou fia shuadad. »
    La traduction ne serait-elle pas plutot : « Benghazi s’est levée, et ses martyrs sont tombés » ?
    A part ça, vous faites un excellent boulot !
    Allah ikhalikoum…

  2. Πρακτορείο Rioters dit :
  3. traduction_en_italien dit :

    Voici la traduction en italien de l’article « Benghazi s’éveille… » :

    Bengasi si sveglia, il nostro popolo muore

    Questa guerra sembra una opera teatrale che va in scena ogni giorno, instancabilmente. Cambia solo la scena, da Brega a Ben Jawad, da Ben Jawad a Brega, ogni volta un po’ più rovinata.

    Lo stato provvisorio si rivolge ormai solo ai branchi di giornalisti che, non sapendo esattamente cosa fare delle loro giornate, si occupano agglutinandosi, da conferenza stampa in conferenza stampa. Tutto sembra normale. Si vorrebbe che tutto sia come prima, eppure è tutto diverso.

    Il centro di Bengasi conta ancora tanti uffici del nuovo stato. Organizzazioni di gioviani o di lavoratori, sempre più bulimici di simboli, di bandiere, di uffici-col-nome-sulla-porta. Ma le guardie armate, così pallosi e fieri fino a ieri, si fanno sempre più rari, stufi di rappresentarsi davanti agli occidentali navigati.

    Il vero Stato della nuova Libia non è, e non è mai stato, il Comitato Nazionale di Transizione. Sembra d’altronde che la sua unica attività extra-mediatica sia stata quella di recuperare i soldi del petrolio per riempire chi sa che cassa. Costituisce senza dubbio solo il pretesto di un mezzo di stampa che costruisce alla rinfusa il patetico, le immagine, il discorso e il ritmo di questo spettacolo che è l’etica rivoluzionaria in Libia.

    Se esiste qualcosa come uno “Stato”, si situa piuttosto negli uffici di Al Jazeera. Se uno vuole delle notizie della guerra o vuole sapere cos’è l’ultimo corteo, bisogna accendere la televisione.

    Qui nessuno obbedisce a nessuno. Certo gli sbirri ricompaiono ma la metà sono dei ragazzini o dei tipi che hanno recuperato delle divise. Non si organizzano insieme né sotto la tutela del CNT.

    La presenza di un esercito organizzato è la voce che gira di più (senza contare quella che annuncia il sollevamento di Sirte, voce tanto mitica quanto ricorrente).

    Il fronte è d’altronde ridiventato un “privé” con selezione all’ingresso. In questa battaglia che non finisce più da Brega a Ben Jawad, non c’è niente di interessante da fare per chi non fa parte di una squadra di artiglieria, o non vuole morire da martire. La guerra si specializza ma non si può dire che ci sono “specialisti” nel campo degli insorti. I “militari professionisti”, organizzati e furtivi, più o meno comandati da un panorama di generali e colonnelli, e che molti giornalisti pretendono aver visto, stanno diventando uno scherzo sempre meno divertente. Ci sono dei militari addestrati e equipaggiati sul fronte, ma sono i soldati di Gheddafi e colpiscono gli shebab. A dire il vero, questo fantasma che sembra uscito da un video cheap per il reclutamento dei marines serve sopratutto a bloccare i giornalisti all’ultimo check-point, ma non funziona. E’ molto facile oltrepassarlo, e tutti lo fanno.

    In un articolo precedente descrivevamo la costituzione di un’“avanguardia” e una “retroguardia”: bisogna capire questo al livello della forma di vita. Sono tutti civili e ciò che differenzia quelli che vanno sul fronte dagli altri è un certo interesse per i combattimenti e, di conseguenza, un rapporto abbastanza demistificato allo scontro bruto. Ci sono ovviamente alcune persone che dopo esser stati sul fronte una volta tornano in città per tirarsela, ma questi atteggiamenti sono piuttosto rari.

    La questione tribale si pone o si porrà solo nelle città di Sebha e di Sirte. Per quanto ne sappiamo, da qualsiasi altra parte, è come qui: gli insorti sono degli individui che si radunano sul fronte. Si organizzano in gruppi di tre o quattro veicoli al massimo e si occupano loro stessi della propria logistica. Vengono aiutati da tipi che si organizzano da soli per riempire i pick-up di cibo e e di acqua per portarli in prima linea. Si parte sul fronte insieme perché si è amici sul lavoro, o della stessa famiglia o dello stesso circolo subacquei però non c’è niente che assomigli ad una composizione “tribale”, come non c’è nessuna distinzione formale tra militari e civili. Nelle strade di Bengasi, è impossibile distinguere i “combattenti” del resto della popolazione.

    I capi in erba e la curiosità dei cittadini di Bengasi hanno abbandonato il fronte alle poche persone che credevano abbastanza in ciò che facevano.

    I ruoli si dissolvono e i rapporti tra le persone diventano rapporti realmente compartecipativi Anche i fotografi venuti a giocare in questo film di guerra si trovano coinvolti e condividono fortemente l’esperienza con gli shebab. Il rapporto con gli occidentali sul fronte è diventato molto chiaro. Da un lato gli shebab considerano quasi come compagni quelli che mangiano con loro, viaggiano con loro sulle macchine che vanno verso il fronte, etc. Da un altro lato possono essere molto freddi nei confronti di quelli che sembrano di essere solo curiosi, inviati qui come potrebbero essere inviati alla prima della Scala.

    Come durante l’occupazione di Ras Lanuf, la guerra è sempre di più vissuta come lo stato normale delle cose. L’esercito non è mai stato così piccolo, ma è organizzato bene. L’artiglieria si colloca sulle creste, il ricaricamento si fa velocemente e tutti lo sanno fare ed appaiono delle nuove armi.

    Anche l’artiglieria pesante si costruisce con mezzi di fortuna: lanciarazzi grad azionati da interruttori per le case, mortai fatti con dei tubi recuperati e, ciliegina sulla torta, lanciarazzi di elicotteri Mi-24 montati su dei pick-up e capaci di lanciare una trentina di razzi di 57 mm in un lampo grazie a un controllo di tiro improvvisato.

    La solidarietà internazionale non si vede sul fronte. Ci sono solo le macchine degli abitanti di Bengasi, Brega o Tobruk che portano delle cose che hanno comprato con i loro propri soldi.

    Anche a Bengasi la normalità puzza di zolfo. Tutti i negozi sono aperti tranne le banche, nonostante la loro grande importanza simbolica. Il venditore di cuoio che una settimana fa vendeva ancora delle cinture e riparava le scarpe dei bambini, vende ormai in un pomeriggio cinque o sei fondine, tre o quattro bretelle per kalashnikov, un giubbotto antiproiettile e… una cintura rosa per fighetti.

    Due giorni fa ho incontrato dei giovani del fronte di Agedabia. Mi hanno portato fino a un carro armato sul quale, con due tamburini, ballano e improvvisano dei canti che si rispondono, ripresi da alcuni, criticati da altri, interrotti e poi ripresi… Ogni sera, tali gruppi si formano con delle persone e delle danze diverse.

    Oggi una nave turca che portava aiuti alimentari è stata respinta dopo quindici minuti passati sul molo. I Libici insistono sul fatto che non hanno bisogno di cibo ma di armi e di sostegno militare. Sempre più persone dicono chiaramente che se la coalizione non bombarda le truppe di Gheddafi, è perché l’ha scelto. Dal momento in cui ha distrutto chirurgicamente tutti i veicoli lealisti da Bengasi a Brega, e visto la precisione con la quale i carri armati sono stati decapitati delle loro torrette, si può effettivamente pensare che la coalizione ha deciso intenzionalmente di fermarsi a questo punto.

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