Egypte: drôle de victoire

Dimanche 20 mars, au soir, les Egyptiens apprennent, sans trop de surprise, le résultat du référendum : 40% de participation et le OUI qui l’emporte à 77%. Dans l’heure, des Egyptiens se retrouvent place Tahrir pour protester contre le vote, le résultat et la manière dont il s’est déroulé.

L’encre indélébile rouge, apposée sur le bout du doigt de chaque votant et qui attestait de l’unicité du vote, partait au savon. Les juges et les isoloirs, présentés comme garants du bon déroulement de la journée, n’étaient pas présents dans tous les bureaux de vote, ce qui a rendu possible de nouvelles pressions politiques et religieuses. Dans certains quartiers coptes, les bureaux de votes n’étaient pas ouverts toute la journée. El Baradei (candidat aux prochaines élections présidentielles) n’a pas pu voter : à son arrivée, il a été bousculé et caillassé par une foule chauffée par des partisans de l’ancien régime.

La plupart des Egyptiens ne sait ni lire ni écrire et ses seules sources d’information sont la télé et la radio d’Etat, et quelques journaux eux-mêmes sous contrôle du pouvoir. Tous ont diffusé, tout au long de la semaine, une propagande pour le OUI. Les tracts des frères musulmans menaçaient, quant à eux, tous ceux qui voteraient NON d’aller en enfer .

Place Tahrir, les manifestants sont en colère. Etonnamment, l’armée est très peu présente. Cela est dû à la présence d’une délégation du parlement européen venue s’extasier de la toute fraiche transition démocratique. Le gouvernement doit donc faire bonne figure. Dans la foule, un de nos amis hurle avec une rage particulière dans un mégaphone. On apprendra plus tard qu’il sort de trois jours de torture dans les sous-sols d’une base militaire après s’être fait kidnapper dans les rues du Caire. A minuit pile (début du couvre-feu), l’armée réapparait, tente quelques arrestations, la foule résiste quelques temps en se débattant et en chantant mais les soldats finissent par reprendre le contrôle de la place.

Depuis le début de la révolution, des grèves ont lieu un peu partout dans le pays : étudiants, fonctionnaires, ouvriers… Et cette semaine l’armée a décidé d’y mettre un terme. Les affaires doivent reprendre et la stabilité du pays ne doit plus être ébranlée. Mercredi, le conseil suprême des forces armées a annoncé la mise en place d’une loi : des peines de prisons pour les manifestants, les grèvistes et ceux qui les soutiennent. Le pouvoir militaire use des mêmes méthodes que sous Moubarak. A bien y réfléchir, rien de tout cela n’est étonnant : le NPD n’a jamais été dissout, les rouages institutionels et les acteurs restent les mêmes. Tantaoui était ministre de la défense, chef de la garde présidentielle de Moubarak et commandant en chef des forces armées égyptiennes de 1991 à 2011. Depuis la chute de Moubarak, il est chef du conseil suprême des forces armées, et donc de fait chef de l’Etat égyptien.

La victoire tant acclamée que l’on nous vend en occident et que le pouvoir défend semble curieusement coïncider avec le délicat retour des us et coutûmes bien connus du pouvoir égyptien: torture, propagande, tabassage, étouffement de toute contestation politique. Ce que le pouvoir a commencé à reprendre au peuple, c’est le sens, la définition même de la victoire. Pourtant, ce qui s’est soulevé en Egypte ne retombera certainement pas aussi vite que l’intérêt des médias occidentaux. Il n’y a qu’à voir à Maspero, siège de la radio télévision d’Etat où 2000 personnes, dont plusieurs journalistes en grève, bravaient vendredi soir le couvre feu et l’interdiction de manifester pour protester contre la main-mise absolue de l’Etat sur l’information.

Malgré le rapiéçage de la constitution et l’intimidation de l’armée, espérons que le départ de Moubarak, présenté comme LA victoire, passe pour autre chose que la dernière arnaque d’un pouvoir à peine remaquillé. La révolution egyptienne n’est pas terminée. Il y a une lutte au sein même de la définition de la victoire. Le parti en place ou le peuple : il paraît difficile d’imaginer deux vainqueurs.

Le Caire, 26 mars.

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